
Rumeurs insistantes, éléments factuels disséminés, intérêts économiques colossaux : la question d’une présence — directe ou indirecte — d’anciens réseaux liés à Blackwater (aujourd’hui disparue en tant que marque commerciale) ressurgit en République démocratique du Congo (RDC). Entre contrats de sécurisation minière, techniciens étrangers et mercenaires de passage, que peut-on affirmer sans extrapoler ? Enquête, recoupements et analyse.

Ce que l’on sait (et ce que l’on ne sait pas)
En avril 2025, Reuters révèle un accord entre Kinshasa et Erik Prince, fondateur historique de Blackwater, pour « aider à sécuriser et à mieux taxer » le secteur minier — un dispositif présenté comme administratif et logistique, ciblé sur le sud (Katanga), et distinct des zones de combat à l’est. Le projet de déployer des contractants à Goma a été mis en pause avec l’avancée du M23. Aucune preuve publique d’un déploiement armé n’y est associée à ce stade. Reuters
Un nouveau ferment : la prise de position rwandaise
Dans un communiqué publié sur le compte X (ancien Twitter) de Olivier Nduhungirehe, ministre rwandais chargé des Affaires étrangères, Kigali déclare officiellement qu’il ne tolérera plus le passage de mercenaires sur son territoire. Selon ce message, le Rwanda refuse d’être utilisé comme point de transit pour des forces étrangères intervenant en RDC, en particulier après les épisodes de mercenaires européens qui, en début 2025, avaient bénéficié d’un passage sécurisé par le Rwanda pour rentrer dans leurs pays d’origine. Le ministre critique de surcroît les récents propos d’un vice-premier ministre congolais affirmant le recours à des mercenaires, les qualifiant d’« illégaux au regard du droit international ». Cette prise de position marque une tentative publique de dissuasion à l’égard de tout acteur souhaitant franchir le territoire rwandais à des fins militaires ou paramilitaires. RADIOTV10
Des personnels étrangers en appui technique existent.
Des médias régionaux documentent la présence de contractants étrangers opérant des drones pour le compte des FARDC ; l’un des épisodes marquants évoque des centaines d’agents d’une société appelée « Congo Protection » ayant cherché refuge auprès de la MONUSCO lors d’affrontements autour de Goma. Cela atteste d’un écosystème de prestataires privés, mais ne suffit pas à établir un lien organique avec « Blackwater ». KT PRESS+1
Des allégations plus spéculatives circulent.
Des médias régionaux documentent la présence de contractants étrangers opérant des drones pour le compte des FARDC ; l’un des épisodes marquants évoque des centaines d’agents d’une société appelée « Congo Protection » ayant cherché refuge auprès de la MONUSCO lors d’affrontements autour de Goma. Cela atteste d’un écosystème de prestataires privés, mais ne suffit pas à établir un lien organique avec « Blackwater ». KT PRESS+1
Évolution récente : déploiement « pas encore effectif ».
Mi-septembre 2025, Reuters rappelait l’existence de l’accord avec Prince tout en précisant qu’aucun personnel n’avait encore été officiellement déployé, selon une source proche du dossier. Reuters
Contexte : guerre à l’Est, minerais stratégiques et marchés privés de la sécurité
La guerre et les minerais.
L’est de la RDC reste ravagé par la guerre. Des experts onusiens ont accusé Kigali de soutenir M23 et d’alimenter un trafic minier à « un niveau sans précédent », ce que le Rwanda dément. Dans cet environnement, l’État congolais cherche des solutions de sécurisation et de recettes, notamment via des partenariats dans l’extraction et la fiscalité des minerais. AP News
Prestataires occidentaux et fiascos.
L’épisode des mercenaires roumains, médiatisé après la chute de Goma début 2025, illustre les dérives : recrutement hétéroclite, commandement flou, engagements dépassant les clauses contractuelles, et bilan opérationnel désastreux. Cette séquence a rappelé les risques juridiques, éthiques et stratégiques d’une externalisation mal encadrée. The Guardian
Position politique congolaise.
Le président Félix Tshisekedi réaffirme vouloir des partenariats — y compris avec les États-Unis — pour développer le pays, tout en refusant de « brader » les ressources. Le message politique vise à rassurer : ouverture à la coopération, mais souveraineté sur le sous-sol. Reuters
Investigation du media de la sous Région FACT OGL : recoupements, limites des sources et zones grises
La trace « Blackwater » aujourd’hui
En droit comme dans les faits, « Blackwater » a changé de noms et d’entités au fil des années (Xe, puis Academi, intégrée dans d’autres ensembles). L’angle pertinent n’est donc pas la « marque », mais les réseaux : dirigeants, financiers, contractants. Sur ce point, des analyses indépendantes ont déjà lié Erik Prince à des propositions opaques en Afrique centrale. Toutefois, relier ces réseaux à une présence combattante actuelle et prouvée en RDC suppose des preuves que nous n’avons pas. Inkstick
Accords miniers et sécurité « non combattante »
Les documents disponibles suggèrent un mandat de sécurisation fiscale et de conseil, potentiellement via des équipes de conformité, de traçabilité et d’appui logistique, dans des zones éloignées du front. C’est cohérent avec l’objectif affiché : réduire la contrebande et accroître les revenus publics. Mais la frontière entre « sécurité passive » et sécurité armée peut devenir poreuse en contexte de conflit. D’où l’exigence de transparence.
Les « preuves » virales
Plusieurs contenus viraux évoquent « Blackwater à Goma ». Or, nos tentatives de vérification croisées aboutissent à des allégations sans pièces primaires (contrats publiés, ordres de mission, registres d’entrée d’armements, autorisations officielles détaillées). En l’état, ces contenus ne répondent pas aux standards de preuve requis pour parler d’une présence confirmée.
Analyse : pourquoi cette rumeur persiste
Économie politique des minerais. Un partenaire privé « musclé » peut apparaître comme un raccourci pour imposer de la discipline fiscale et logistique aux chaînes d’approvisionnement. Cela nourrit l’idée — parfois fantasmée — d’un « retour » de réseaux Prince/Blackwater. Reuters
Capacités étatiques sous tension. L’armée et l’administration congolaises sont éprouvées par la guerre et les déplacements massifs ; l’externalisation devient tentante, au risque d’effets boomerang en termes d’image, de droit et d’efficacité opérationnelle. The Guardian
Bataille informationnelle régionale. À l’ombre des combats et des négociations, chaque partie médiatise des récits calibrés pour influencer partenaires et opinion. L’invocation « Blackwater » frappe l’imaginaire et polarise le débat.
À ce jour, il existe des indices solides d’un accord entre la RDC et Erik Prince autour de la sécurisation et de la fiscalité minières, mais aucune preuve publique d’un déploiement combattant de « Blackwater » (ou de ses avatars) en RDC. La présence de contractants étrangers — notamment pour les drones — est documentée, sans établir pour autant un lien direct, organique et actuel avec « Blackwater ». En substance : rumeur plausible sur le plan politique, non confirmée sur le plan probatoire. Pour passer du soupçon au fait, il faut des documents, des audits et des vérifications indépendantes rendus publics. D’ici là, tout récit catégorique (vrai ou faux) relève plus de l’instrumentalisation que de l’information.
la Rédaction
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