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GOMA — L’ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), Joseph Kabila Kabange, est arrivé ce week-end à Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, une ville actuellement sous le contrôle de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23). Une arrivée aussi symbolique que controversée, qui suscite une onde de choc politique à Kinshasa, tout en étant saluée par les forces politiques présentes à l’Est, notamment Corneille Nangaa, coordonnateur de l’AFC.

Ce retour intervient trois jours à peine après le discours du 23 mai dans lequel Kabila rompait un silence de six ans. Dans cette déclaration au ton grave et structuré, il dénonçait la dérive autoritaire du régime en place, dressait un tableau alarmant de la situation sécuritaire du pays et appelait à un « pacte citoyen » pour refonder la République. Goma, cœur de la crise sécuritaire en RDC, devient donc le théâtre d’un nouveau tournant historique.


Un retour politique chargé de symboles

Dans son discours du 23 mai, Joseph Kabila n’a pas caché son intention de se rendre à Goma. En réponse aux rumeurs persistantes qui l’accusaient d’y être déjà pour soutenir la rébellion, il a précisé :

« Une preuve, s’il en fallait encore, vient de nous en être donnée. Il y a quelques jours en effet, suite à une simple rumeur de la rue ou des réseaux sociaux sur ma prétendue présence à Goma — où je vais me rendre dans les prochains jours, comme annoncé par ailleurs — le régime en place à Kinshasa a pris des décisions arbitraires avec une légèreté déconcertante. »

Ce passage anticipait déjà les remous institutionnels que sa simple évocation provoquait dans les cercles du pouvoir. En s’y rendant effectivement, Kabila transforme la rumeur en acte politique, affirmant publiquement son enracinement dans toutes les provinces, y compris celles sous contrôle des forces rebelles.


L’accueil de l’AFC/M23 : entre hospitalité stratégique et message clair à Kinshasa

La coordination de l’Alliance Fleuve Congo (AFC/M23), par la voix de Corneille Nangaa, a immédiatement salué la présence de l’ancien président à Goma :

« Le retour au pays de ce grand acteur politique est favorablement accueilli. Il a fait un bon choix, plutôt que de rester en exil forcé. »

Dans un message en cinq points, l’AFC se félicite de l’arrivée de Kabila dans une ville que le mouvement rebelle qualifie de « seule partie du pays où l’arbitraire, la persécution politique, le tribalisme, les discours de haine n’existent pas ». Ce message fait implicitement de Goma une terre de refuge politique pour ceux qui, selon l’AFC, subiraient les dérives d’un pouvoir répressif à Kinshasa.

Corneille Nangaa va plus loin :

« Les portes martyres de Goma, qui sont celles du Congo, sont grandement ouvertes pour accueillir […] tous les compatriotes désireux de trouver une terre d’accueil où ils peuvent exercer librement leurs activités politiques dans un esprit républicain. »

Ce langage, presque messianique, transforme la présence de Kabila en moment de légitimation politique pour le contrôle de facto de l’Est par l’AFC, qui cherche à démontrer que sa gouvernance est non seulement fonctionnelle, mais aussi accueillante pour l’élite congolaise.


Kabila, l’armée et la souveraineté : un message aux soldats et aux officiers

L’ex-président, lui-même militaire, a tenu à évoquer directement les forces armées dans son discours du 23 mai. Dans un passage saisissant, il affirme :

« Pour les avoir formés, commandés et conduits au front, je connais nos soldats […] Ce qui a changé entretemps, c’est la qualité du commandement et de leur prise en charge. »

En s’exprimant ainsi, Joseph Kabila cherche à rétablir un lien symbolique avec l’armée nationale, qu’il accuse d’être humiliée, négligée et suppléée par des mercenaires et des milices tribales. Son déplacement à Goma, ancien bastion militaire, peut être interprété comme un geste de ralliement silencieux à l’armée déployée à l’Est, mais aussi une tentative de remobilisation morale.


Une posture politique à double tranchant

L’installation de Kabila à Goma constitue une rupture géopolitique majeure dans le paysage congolais. Elle soulève plusieurs hypothèses :

  1. Réhabilitation personnelle dans une zone qui refuse les verdicts de Kinshasa ?
  2. Préparation d’un leadership transitoire dans une région qui revendique un rôle actif dans la redéfinition du pouvoir central ?
  3. Message subliminal à la communauté internationale, en montrant qu’il existe un contre-pouvoir viable, même en territoire dit « rebelle » ?

Le fait que Kabila évoque l’urgence d’un « pacte citoyen pour la refondation de l’État » peut aussi s’interpréter comme un appel implicite à une transition inclusive, à partir de toutes les forces politiques et géographiques du pays.


Kinshasa entre embarras, colère et dilemme

Le gouvernement central n’a pas encore officiellement réagi à l’arrivée de l’ancien président à Goma. Mais le silence pourrait être plus éloquent que toute déclaration hâtive. En janvier dernier, une simple rumeur de sa présence dans la ville avait déclenché une répression administrative et médiatique, ainsi qu’un renforcement sécuritaire.

Maintenant que la présence est avérée, saluée et médiatisée, Kinshasa se trouve face à un dilemme politique majeur :

  • Réagir frontalement, au risque d’escalader le conflit ?
  • Laisser faire, au risque de légitimer tacitement un espace politique alternatif à l’Est ?
  • Ou engager enfin un dialogue national, comme le suggérait Kabila lui-même en saluant l’initiative ECC-CENCO ?

Une interrogation en suspens

Quelle sera la réaction de Kinshasa ?

Et surtout, quelle sera la réaction du peuple congolais ?

Ce retour, qui mêle symbolisme historique, contestation politique et calcul stratégique, redéfinit le centre de gravité du pouvoir congolais. Entre Goma et Kinshasa, le duel de légitimités est plus que jamais lancé.

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