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Le vendredi 23 mai 2025, Joseph Kabila Kabange, ancien président de la République démocratique du Congo (RDC), est sorti de son long silence à travers un discours fleuve, dense et incisif. Cette allocution, très attendue, survient dans un contexte brûlant : quelques jours seulement après la levée controversée de ses immunités parlementaires par le Sénat – une décision dont la légalité reste largement débattue, certains juristes évoquant que seul le Congrès (Sénat et Assemblée réunis) pourrait en disposer selon la loi sur le statut des anciens présidents élus.

Dans ce discours, Kabila s’est présenté non comme un homme politique défensif, mais comme un homme d’État, déterminé à proposer une voie de salut national. Entre mémoire, mise en garde et propositions, il livre un diagnostic sévère de la gouvernance actuelle, qu’il qualifie de « tyrannie », et annonce une nouvelle posture de combat, portée par un pacte citoyen autour de douze actions urgentes.

Discours analytique : entre mémoire, accusations et stratégie politique/strong>

1. Un bilan assumé, un héritage revendiqué

Kabila a ouvert son discours en rappelant sa passation pacifique du pouvoir en 2019 — une première dans l’histoire du Congo indépendant. Il s’est positionné comme l’architecte de la stabilité passée, évoquant un pays qu’il dit avoir laissé :

  • réunifié et pacifié,
  • doté d’une Constitution progressiste,
  • libéré du fardeau de la dette,
  • soutenu par une armée professionnelle,
  • et engagé dans une dynamique démocratique.

Le contraste est frappant lorsqu’il dresse un tableau sombre de la RDC actuelle qu’il estime « en faillite institutionnelle, économique, sociale et sécuritaire ».

2. Un acte d’accusation cinglant contre Félix Tshisekedi

Joseph Kabila attaque sans détour l’actuel président Félix Tshisekedi, qu’il accuse :

  • d’avoir violé la Constitution dès le remaniement de la Cour constitutionnelle,
  • d’avoir fomenté un « coup d’État institutionnel » en 2020,
  • d’avoir organisé des « élections frauduleuses » en 2023,
  • et de vouloir changer la Constitution pour consolider un pouvoir absolu, en rupture avec le Pacte républicain de Sun City.

Il dénonce une gouvernance populiste, népotique et tribaliste, minant l’unité nationale et la cohésion sociale.

3. Une dérive sécuritaire : la « perte du monopole de la violence »

Kabila dénonce avec gravité la situation sécuritaire catastrophique dans l’Est, qualifiant les massacres de « crimes contre l’humanité » impunis, notamment les tueries à Makala, Kilwa, Goma ou encore Lubumbashi.

Il pointe une armée nationale affaiblie, remplacée par des milices tribales, mercenaires et groupes armés, et accuse le pouvoir actuel d’avoir contribué à la régionalisation du conflit, notamment en faisant alliance avec des forces négatives comme les FDLR.

4. Une crise multidimensionnelle et existentielle

L’ancien président dresse le tableau d’un État failli : institutions aux ordres, justice instrumentalisée, économie dégradée, jeunesse abandonnée, inflation galopante, corruption institutionnalisée, services publics sinistrés.

Il accuse le régime d’avoir « sacrifié la République sur l’autel de la répression et de la démagogie », mettant en danger l’existence même de la nation congolaise.


Une proposition : le Pacte citoyen pour la refondation de la République

Kabila ne se limite pas à la critique. Dans un tournant stratégique, il appelle à un sursaut national par un « pacte citoyen », une plateforme d’actions structurée en douze engagements clairs, qu’il présente comme une réponse nationale à la crise :

Les 12 actions à engager selon Joseph Kabila :

  1. Mettre fin à la tyrannie : retour à l’État de droit.
  2. Arrêter la guerre : restaurer la paix intérieure.
  3. Rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire.
  4. Restaurer la démocratie et la légalité constitutionnelle.
  5. Garantir les libertés fondamentales.
  6. Réconcilier les Congolais et reconstruire la cohésion nationale.
  7. Relancer le développement par une gouvernance économique orthodoxe.
  8. Dialoguer sincèrement avec les pays voisins pour la paix régionale.
  9. Rétablir la crédibilité internationale du pays.
  10. Neutraliser tous les groupes armés et rapatrier les étrangers.
  11. Mettre fin au mercenariat, conformément aux conventions africaines et internationales.
  12. Ordonner le retrait immédiat des troupes étrangères et saluer le retrait annoncé de la SAMIDRC.

Un message politique stratégique et un engagement personnel

Joseph Kabila lance un appel national à l’unité, au-delà des clivages politiques, tribaux ou sociaux. Il se positionne comme un acteur de la reconstruction nationale et assure :

« Je m’engage à jouer ma partition. »

Il ne parle pas de candidature, mais tout laisse entendre un retour au front politique, sous une forme qu’il reste à préciser.


Enjeux juridiques : la question des immunités

Enfin, ce discours prend toute sa charge symbolique et politique car il intervient après la levée controversée de ses immunités parlementaires. Une décision du Sénat qui, selon la loi du 26 juillet 2018 sur les anciens présidents élus, devrait logiquement relever du Congrès (Sénat + Assemblée), en raison du statut particulier de sénateur à vie.

Cette faille juridique pourrait être le premier acte d’une bataille politique et judiciaire de grande ampleur, entre l’ancien président et le régime en place.


Un tournant majeur pour la RDC

Ce discours est un acte politique fondateur, qui remet Joseph Kabila au cœur de l’arène congolaise. Il appelle à une large mobilisation, non pas pour défendre sa personne, mais pour refonder un État qu’il juge en déliquescence. Son ton, grave et posé, vise à rassembler, non à diviser.

Qu’on le soutienne ou non, ce moment marque une rupture : la fin du silence et le début d’un nouveau chapitre de confrontation idéologique entre les héritiers de Sun City et les tenants du pouvoir actuel.

Le Congo est désormais à la croisée des chemins.

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